Situé sur les rives du Bosphore à la croisée entre Orient et Occident, le Vodafone Park s’inscrit dans un quartier historique de la ville et représente le symbole de son renouveau au sein d’une Turquie qui cherche à grandir
Vodafone Park, l’autre palais d’Istanbul
Capitale de trois empires, à cheval sur l’Asie et l’Europe, Istanbul (précédemment Byzance puis Constantinople) est une ville d’une diversité et d’une puissance culturelle, architecturale ou encore économique impressionnantes qui en font un point central de la Turquie actuelle.
L’ancien stade de Besiktas, le stade Inönü, voit le jour à la fin des années 1940 au moment du rebond démographique de la ville après des années marquées par la seconde guerre mondiale, Istanbul redevenant le centre de gravité du pays tant démographiquement qu’économiquement.
Inauguré en 1947, le stade Inönü devient progressivement un lieu culturel majeur dans le paysage de la ville, notamment la tribune Eski Açik classée comme monument historique par le gouvernement et qui se caractérise par ses 2 tours et ses portes d’entrée conservées aujourd’hui.
En février 1998 l’histoire d’amour entre le club de Besiktas et le stade Inönü, un temps renommé à la gloire de Midhat Pasha, prend une nouvelle tournure lorsque le club signe un accord avec le Ministère de la Jeunesse et des Sports turc pour la location du stade durant 49 ans.
La question de la rénovation du stade se pose très rapidement, dès 2004, avec de nombreux changements apportés. Toutefois, la question d’une rénovation + approfondie pose des problèmes d’aménagement du territoire, notamment en raison de la situation géographique du site.
En effet, le stade Inönü se trouve dans un quartier historique d’Istanbul, non loin du Palais de Dolmabahçe construit lors de la période ottomane, lieu de résidence de certains sultans, dernière maison de l’Empire ottoman et lieu de création de la République turque en 1923.
Après d’âpres négociations avec la municipalité et le gouvernement, le club de Besiktas parvient à un accord sur la reconstruction de son stade au même endroit, lui permettant de rester au cœur du quartier et de ne pas se déplacer en périphérie comme d’autres clubs d’Istanbul.
Le stade représente un réel point de rencontre et de vie dans le quartier pour les supporters de Besiktas, notamment lors des traditionnelles marches d’avant-match rassemblant près de 30 000 personnes le long du palais de Dolmabahçe et du littoral.
Une solution est alors trouvée : celle d’opérer une reconstruction du stade sous contraintes matérielles mais aussi urbanistiques, historiques et architecturales. L’objectif est de ne perturber ni la vie du quartier ni son paysage à travers un design sur-mesure.
A l’instar des palais de la période ottomane qui oscillaient dans leur architecture et construction entre empreinte territoriale et orientation occidentale, le Vodafone Park s’inspire tant de son environnement proche que des nouveaux stades européens comme l’Emirates Stadium.
D’un point de vue architectural, le Vodafone Park tire sa façade faite de colonnes, et plus largement sa forme, des arènes de gladiateurs, premier stade construit au même endroit il y a de cela des siècles lors de la période romaine de la ville.
Le toit fait de formes dynamiques et voûtées rappelle tant les dômes de la Mosquée bleue que les vagues du Bosphore alors que les couleurs et détails utilisés lors de la construction du stade renvoient à l’architecture ottomane et notamment au palais de Dolmabahçe.
Le nouveau stade pousse aussi la dimension historique un peu plus loin en conservant les tours et portes d’entrée de la tribune Eski Açik et en créant à l’intérieur du stade l’un des plus grands musées de la ville traitant de l’histoire du club de Besiktas.
L’autre versant du projet est celui de la modernité avec à la fois un stade construit grâce à des nouvelles technologies (notamment pour le toit), mais qui utilise aussi ces nouvelles technologies par exemple en termes de développement durable.
Ce savant mélange entre histoire et modernité amène à une véritable réussite architecturale et culturelle mais aussi à un lieu de football et d’ambiance quasiment sans équivalent en Europe comme en attestent les nombreuses soirées enflammées au Vodafone Park, notamment en LDC.
La rénovation du stade de Besiktas peut toutefois être appréhendée à travers une autre grille de lecture, celle des politiques urbanistiques du président Recep Erdogan qui souhaite faire d’Istanbul une ville musulmane sunnite, centrale pour son projet et pour le pays.
A l’inverse de Mustafa Kemal Atatürk qui créa la Turquie en 1923 et qui voulait faire d’Ankara la capitale d’un pays tourné vers l’Europe, le président Erdogan mobilise de nombreuses références à l’histoire ottomane, tentant même de la valoriser à travers le musée Panorama 1453.
Le tourisme est alors l’un des leviers primordiaux pour faire d’Istanbul la capitale économique et culturelle du pays, cette volonté se traduisant à travers les différents titres de capitale européenne de la culture/du sport en 2010/2012 ou les multiples candidatures aux J.O.
Le Vodafone Park est d’ailleurs pensé comme bien plus qu’un stade de football d’après ses constructeurs, conçu aussi pour accueillir des concerts comme celui de Shakira en 2018, mais aussi des restaurants bénéficiant d’une vue sans équivalent pour des réceptions et événements.
La confusion des genres entre ordinaire stade de football et symbole d’un renouveau culturel et économique de la ville d’Istanbul se renforce lorsqu’en mai 2017 le président Erdogan demande à ce que le terme d’« Arena », rappelant la période romaine, soit remplacé par « Park ».
itué sur les rives du Bosphore dans un quartier relativement aisé qu’est celui de Besiktas et à proximité des quartiers historiques de la ville, le Vodafone Park évolue alors comme une vitrine pour Istanbul et renforce l’attractivité de ses espaces littoraux, renvoyant certaines populations dans un centre paupérisé dans les années 1980 (mais qui tend plutôt aujourd’hui à se gentrifier), mais aussi vers une périphérie dynamique à l’extérieur de la ville, renforçant les processus de ségrégation socio-spatiale.
Révolution manifeste de l’histoire du club la reconstruction du Vodafone Pak allie subtilement histoire locale et sportive d’un côté et modernité à travers le quartier de Besiktas de l’autre, en faisant un emblème du renouveau économique et culturel d’Istanbul, mais aussi plus généralement de la Turquie, renouveau souhaité par le président Erdogan pour 2023, année du centenaire de la République, lui qui souhaite faire de son pays et d’Istanbul des acteurs forts de la globalisation et des puissances émergentes.
Présentation et images par @TribunesUrbaines