Estadio Nacional de Chile, le stade concentrationnaire

Le 13 juin dernier, les fédérations membres de la FIFA ont désigné l’hôte de la Coupe du monde 2026. Réunies en plénière extraordinaire, lesdites fédérations ont désigné le trio Mexique-Canada-Etats-Unis comme futur hôte. Opposé au Maroc, le consortium l’a emporté assez largement, notamment avec le concours d’un certain nombre de voix africaines et arabes – ce qui n’a pas manqué de créer quelques tensions diplomatiques. Après la [mks_icon icon= »icon-book-open » color= »#56d10a » type= »sl »] Russie puis le [mks_icon icon= »icon-book-open » color= »#56d10a » type= »sl »] Qatar, le Mondial retournera donc aux Etats-Unis pour la deuxième fois de son histoire après 1994. Au-delà les critiques légitimes qui ont pu poindre (notamment sur le choix de l’argent au détriment de la passion), le triomphe du consortium est également un formidable message d’espoir pour une région fracturée depuis l’arrivée de Donald Trump au pouvoir.


[mks_icon icon= »icon-book-open » color= »#56d10a » type= »sl »] Pour aller plus loin : pourquoi les Etats-Unis jouent-ils encore au foot pendant la Coupe du Monde ?


 

L’ex-magnat de l’immobilier n’a pas hésité et n’hésite toujours pas à fustiger les Mexicains – nous gardons en mémoire sa promesse symbolique de construire un mur à la frontière entre les deux pays et de le faire payer par les Mexicains. De son côté, le Mexique, « si loin de Dieu, si près des Etats-Unis » selon la phrase attribuée à Porfirio Diaz, fait figure de liant entre l’Amérique du nord et le monde latino-américain. Considérés par les Etatsuniens comme leur pré carré, l’Amérique latine a longtemps subi – et continue d’ailleurs de subir – l’influence et les multiples ingérences étatsuniennes dans sa vie politique. Du Nicaragua à l’Argentine, de Cuba au Brésil, du Venezuela à la Colombie, la vie politique du continent américain est régie par la doctrine du Big Stick (gros bâton) théorisée par Théodore Roosevelt. Le Chili n’échappe pas à la règle et les répercussions de ces ingérences se sont matérialisées jusqu’au football et l’Estadio Nacional de Chile à Santiago, devenu symbole du régime de Pinochet.

 

Le premier 11 septembre

 

Pour les membres de ma génération, la date du 11 septembre reste éminemment liée aux attentats commis en 2001. L’effondrement des deux tours jumelles à New-York ont effectivement marqué le jalon le plus important du XXIème siècle. Un peu comme un évènement marquant la fin de l’innocence et l’entrée dans le monde adulte de manière abrupte, cette date est un repère pour ceux nés au tournant des années 1990. Il n’y a rien de bien étonnant à cela tant cette date a eu des répercussions qui se font sentir jusqu’aujourd’hui (dérive sécuritaire et liberticide, démembrement de l’[mks_icon icon= »icon-book-open » color= »#56d10a » type= »sl »] Irak, etc.). Pourtant, le 11 septembre avait déjà la couleur écarlate avant que deux avions n’entrent en collision avec le World Trade Center. En 1973, c’est à cette date que Salvador Allende, président socialiste du Chili est renversé par le coup d’Etat du général Pinochet, coup d’Etat soutenu voire préparé par les Etats-Unis et leur bras armé la CIA.

Le putsch visait essentiellement à chasser un gouvernement socialiste du fameux pré carré étatsunien afin d’y installer un pouvoir favorable au bloc capitaliste, quand bien même celui-ci serait sanguinaire et dictatorial. Il faut dire qu’en cette période de guerre froide, les Etats-Unis et leurs alliés ne se souciaient guère du caractère meurtrier des régimes qu’ils mettaient en place (cela a-t-il seulement changé aujourd’hui ? Je n’en suis pas certain). Dès le lendemain du coup d’Etat, le régime du général Pinochet réquisitionne l’Estadio Nacional pour le transformer en camps de concentration. Aux vivats de la foule en délire lors de match se substituent alors les cris de douleur et d’horreur des torturés dans une macabre dépossession de l’enceinte sportive.

Le football assassiné

 

Malgré le coup d’Etat, l’équipe nationale chilienne affronte l’URSS, dans un match hautement chargé symboliquement et politiquement, le 23 septembre 1973. Ce match, qualificatif pour la coupe du monde 1974, a lieu à Moscou et se solde par un match nul et vierge. Malgré le coup d’Etat, les exactions et les assassinats d’opposant, la FIFA entérine la tenue du match retour qui doit se dérouler le 21 novembre 1973. Une délégation est dépêchée en amont dans le pays pour vérifier qu’un tel match peut s’y dérouler et ses conclusions sont franchement surréalistes : « Nous avons trouvé que le cours de la vie était normal, il y avait beaucoup de voitures et de piétons, les gens avaient l’air heureux et les magasins étaient ouverts » écrira même le vice-président de la FIFA dans une forme de réminiscence de la délégation envoyée en Allemagne en prévision des Jeux Olympiques de 1936.

Pinochet n’ayant pas d’intérêt particulier pour le football mais comprenant rapidement à quel point ce sport pouvait servir la propagande de son régime décide que le match doit se tenir dans l’Estadio Nacional à l’endroit même où son régime torture les militants socialistes. En regard de cette ultime provocation, l’URSS décide de ne pas se déplacer et choisit donc sciemment de se faire éliminer du mondial dans un choix purement politique. La FIFA acte cette décision et donne la victoire sur tapis vert au Chili qui se qualifie donc pour le mondial. Mais cette victoire administrative ne suffit pas à Pinochet qui exige que le match se tienne coûte que coûte. C’est alors que nous allons assister à l’un des matchs les plus surréalistes de l’histoire du football, un match sans adversaire. Après avoir assassiné les opposants dans l’Estadio Nacional, Pinochet décide d’y assassiner le football lui-même. Près de 16 000 personnes prennent place dans les travées du stade pour voir 11 joueurs chiliens jouer face à des fantômes en présence d’un arbitre fantoche dépêché pour l’occasion. L’ironie de l’histoire est que le but est inscrit par Francisco Valdès sur une passe de Carlos Caszely, deux socialistes assumés qui s’en vont célébrer le but devant la tribune vide, en hommage à ceux qui ne sont plus là comme ils le diront plus tard. Caszely ira plus loin que ce simple acte symbolique en refusant quelques jours plus tard de serrer la main à Pinochet, ce qui vaudra des répercussions à sa famille. A quelques jours de la chute du régime de Pinochet il jouera un grand rôle dans ladite chute en apparaissant dans un spot télévisé aux côtés de sa mère pour inciter les gens à voter pour le départ du dictateur. Cette prise de position a été décisive selon les analystes pour la victoire du camp prônant le départ de Pinochet. Une nouvelle preuve que le football dépasse allègrement le cadre du terrain mais aussi que parfois c’est des ténèbres les plus sombres que jaillissent les plus belles lumières.

 

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