Lundi 2 avril, Lisbonne, Portugal.
Nous sommes trois compères dans les transports en commun, en route vers le district de Belém, le plus occidental de la ville, historiquement connu comme point de départ des grands explorateurs portugais, Bartolomeu Dias, Vasco de Gama ou encore Magellan. En route pour voir Belenenses – Porto.
Un peu d’histoire
Mais au-delà de son importance culturelle, historique ou même religieuse (le nom du district est donné en honneur de la ville de Bethléem, la maison, berceau religieux depuis la Mésopotamie, et village de naissance de Jésus), c’est également la terre de deux grands rivaux lisboètes, le SL Benfica, les aigles rouges, bien qu’immigré depuis 110 ans dans une zone septentrionale de la ville, le district de Benfica (d’où son nom), et le CF os Belenenses, les pastéis bleus, littéralement « ceux de Belém », tous deux originaires de la zone.
C’est pour le second, club méconnu malgré son titre de champion (en 1946, ce qui en fait le seul club avec Boavista à avoir « piqué » un titre aux trois ogres du pays), que nous nous sommes déplacés depuis l’agitation de la ville, vivant au gré de ses nombreux visiteurs, vers ce mignon faubourg, entre forêt et Tage.
L’avant-match
Dans le bus, beaucoup d’écharpes bleues, mais au bleu de Porto, adversaire du soir et club rival du rival de toujours mais rival quand même, notez l’aspect biscornu. Commencent les railleries envers les passagers du bus en civil, à quelques stations du stade, sans réaction toutefois.
Nous arrivons devant le stade du Restelo (le Restelo est un quartier résidentiel situé dans les hauteurs de Bélem) et, stupeur, du bleu, le même que dans le bus, en écharpe autour de centaines de cous, sur des centaines de maillots, chantés par des centaines de voix.
Pas de trace de supporters locaux.
Nous ne nous attardons pas et pénétrons dans l’arène, acquise à la cause des visiteurs, dont les soutiens occupent plus de la moitié des 25 000 bancs du stade du Restelo.
Le stade est superbe. Un stade à l’ancienne, atypique, avec une partie des tribunes bâchée à l’effigie des sponsors du club, laissant entrevoir en contrebas le toit de style manuélin du monastère des Jerónimos et, en fond, le Christ-Roi, le pont du 25 avril et les superbes reflets du Tage.
Toujours pas de trace des locaux.
L’échauffement et la présentation des joueurs nous laissent dans un état perplexe. Peut-être qu’un huis-clos aura été prononcé, tant pis, nous ne serons que trois à ne pas chanter pour les visiteurs.
Le speaker salue l’arrivée des joueurs sur le pré et, comme une arrivée écossaise devant les troupes du roi Edouard Ier, un millier de supporters envahissent la tribune Ouest, celle des Belenenses, en hurlant le nom de leur quartier, harangués par l’homme au micro, vibrant de plus belle à chaque renvoi de ses fidèles. Frissons.
Durant les premières minutes du match, on rigole, on écoute. Les chants des locaux sont tus par la formidable explosion de voix des visiteurs, lesquels, motivés par la perspective de botter le SLB hors du fauteuil de leader, veulent prendre l’ascendant dans les travées. Performance somme toute réussie grâce à leur nombre massivement supérieur.
Place au match
Dans leurs traditionnelles couleurs bleues, les joueurs de Belenenses engagent face aux joueurs de Porto, en orange ce soir.
Le match démarre avec une rapide récupération des joueurs de Porto, qui tentent de poser leur jeu dès le début de la rencontre.
Sur un coup-franc de Telles repris par Felipe, première occasion de la tête pour Porto, sans réel danger pour le jeune gardien André Moreira. Réponse quasi immédiate de Licá sur un centre de Diogo Viana mais la tête du buteur local finit en six-mètres.
On joue depuis dix minutes, Maxi Pereira renvoie un ballon anodin de la tête vers le rond central, repris également de la tête par Hassan Yebda en direction des deux centraux sans danger à priori, mais Osorio, tête baissée ne voit pas Felipe, son compère de défense, arriver sur le ballon, les joueurs se percutent et Nathan, brésilien prometteur prêté par Chelsea, en profite pour aller tromper Casillas d’une subtile balle piquée. Douche froide.
Les trente-cinq minutes suivantes ne sont qu’un enchainement de tentatives infructueuses, entre les numéros de soliste de Brahimi, ponctués de déchets, les centres ratés des latéraux et les terribles maladresses conjuguées de Tiquinho et Aboubakar. Seule une lourde frappe du pourtant transparent Herrera inquiètera les supporters lisboètes en frôlant la barre transversale quelques minutes avant la pause.
Le retour au vestiaire se fera dans une ambiance mitigée. Les locaux, ravis du coup que leurs joueurs portent aux dragons, quant aux supporters de Porto, frustrés et agacés par leur résultat, ils commencent à chambrer les jeunes ramasseurs de balle. Un match dans le match.
Bien distraits et impatients de voir la suite, nous parcourons l’unique couloir du stade en quête d’un frugal en-cas. Le stade du Restelo, dans son format à l’ancienne, dispose d’un seul couloir, lequel fait le tour quasi complet des gradins (il se ferme aux entrées de la fameuse tribune « bâchée »). Dans ce couloir, tous les dix mètres, vous trouvez des stands de fortune distribuant barres chocolatées, boissons, chips, pop-corns, sandwiches ou « cachorros », sorte de hot-dog local.
Le match reprend. Les joueurs du FC Porto essaient de mettre de l’intensité dans leurs attaques, ce qui enorgueillit clairement leurs supporters. Des tentatives de Tiquinho sur retourné, R. Pereira sur reprise de volée et Felipe, de la tête sur corner, obligent le jeune portier Moreira à s’employer. Un quart d’heure durant lequel les Belenenses n’existent plus. Leur seule arme : tenter de grappiller quelques secondes à chaque contact, chaque sortie de balle. Mal du football d’aujourd’hui. Et attitude qui commence à agacer les supporters adverses.
Et toutes les occasions sont bonnes. Sur une tête de Gonçalo Paciencia qui venait de rentrer côté Porto, Moreira reçoit un léger coup et reste au sol un bon moment. Sifflets, insultes, la foule hue le jeune portier prêté par l’Atlético Madrid.
Je parlais un peu plus tôt d’un « match dans le match » entre les supporters portistas et les jeunes ramasseurs de balle. Il commence véritablement à ce moment-là. Du côté gauche de l’attaque de Porto, un jeune garçon, âgé d’une quinzaine d’années tout au plus, tarde à renvoyer un ballon. Les supporters sifflent et invectivent le jeune homme. Lui rigole. Nous sommes assis à mi-hauteur de tribune, il est vraiment proche de nous. Il l’est davantage des grilles où se massent de nombreux supporters de Porto, agitant leurs majeurs et lui susurrant de doux compliments.
Il se marre de plus belle. Nous aussi.
Retour au match.
Conscient des difficultés de son équipe, l’entraineur des Belenenses, Silas, décide de lancer Maurides, puissant attaquant brésilien.
Moins de trois minutes après son entrée en jeu, sur un coup-franc botté par Fredy, Maurides, d’une puissante tête piquée, double la mise pour les locaux. Un but évident (je l’avais annoncé au moment de la faute) tant Porto est en train de perdre pied. Au score s’ajoutent la frustration, l’impatience et la nervosité. Des ingrédients qui ne mènent généralement jamais vers des choix judicieux.
Le stade explose. D’un côté, une joie rageuse, des petits bousculant les grands ; de l’autre, la colère de voir ces « tricheurs » réussi un si joli coup.
Le match reprend et Porto pousse de plus belle. Arrive alors mon moment préféré du match. Sur un ballon dégagé en touche face à Brahimi, les supporters de Porto, décident de ne pas rendre le ballon, un peu pour embêter le jeune ramasseur de balle. Brahimi en demande un autre, l’obtient, remet en jeu, demande la balle, l’obtient, pousse, provoque, passe, centre, ballon dégagé. Loin.
Il se retourne naturellement devant le jeune ramasseur pour qu’on lui envoie un nouveau ballon. Celui-ci fait signe qu’il n’en a pas, se retourne vers les supporters de Porto, sourire aux lèvres et pose ses fesses contre le panneau publicitaire. Pendant ce temps, Brahimi n’a toujours pas de ballon, Alex Telles, l’arrière gauche de Porto a dû faire une longueur de terrain pour en récupérer un. Touche enfin effectuée.
Comprenant alors où est leur intérêt, les supporters de Porto décident de renvoyer le ballon au jeune ramasseur qui, dans un geste plein de culot, le botte à plusieurs dizaines de mètres. Les dix dernières minutes de la rencontre se jouent sur cette piste d’athlétisme, entre un gamin de quinze balais qui tapait du pied au rythme des chants des supporters locaux et une trentaine de mecs plus âgés lui promettant enfer et damnation. Aujourd’hui encore, je suis incapable de dire quelle attitude m’a le plus choqué. Positivement ou négativement. Vous avez tout loisir de vous faire votre propre opinion.
Nous restons assis de longues minutes après le coup de sifflet final. Regardant les joueurs et les supporters célébrer la victoire pendant que leurs adversaires rentraient aux vestiaires ou sortaient du stade tête basse. Les chants des supporters lisboètes nous ayant coupé toute envie de fumer, boire ou manger, nous restons là, sans autre émotion que la stupeur d’avoir autant vibré pour une si modeste équipe dans son si modeste stade animé par quelques centaines de supporters, face à la foule adverse. Evidemment, pour tout passionné de football, lorsque David terrasse Goliath, une sorte de plaisir sauvage et enivrant monte (sauf lorsque vous supportez Goliath). Ce sentiment était décuplé ce soir-là. Était-ce ce stade magique, cette ville envoûtante ou le courage des joueurs du CF os Belenenses ? Je n’en sais rien. Une chose est pourtant certaine depuis maintenant trois semaines, je crève d’envie d’y retourner.