15h40. Rotterdam. Sur la terrasse où je bois quelques bières avec des amis je réalise que je devrais me dépêcher de partir si je veux avoir une chance d’attraper le train pour Dordrecht. Je finis ma bière, je pars vers la gare… Où je rate le train à une minute près. Tant pis, je prends le suivant quelques minutes après. Une fois dans le train, on peut commencer à sentir la petite excitation de tous les bons groundhoppings qui se respectent : assis dans le train à regarder défiler le paysage et à se demander où on va se retrouver. J’envoie quelques messages à Alex, un supporteur dont le club m’a passé les contacts. Je ne sais pas trop sur qui je vais tomber mais le mec a l’air cool.
20 minutes plus tard, je suis à la gare de Dordrecht. Oui, seulement 20 minutes. Dordrecht est une ville juste à côté de Rotterdam, quelques kilomètres au sud. Alex m’attend devant la gare avec son vélo. Étrange comme au sortir de Rotterdam tout le monde semble répondre au cliché du Néerlandais à vélo. On part vers un bar tout en parlant de la ville : Dordrecht est une ville historique, calme et accessoirement une île « mais maintenant il y a des tunnels, des ponts, ce n’est plus vraiment une île » précise Alex. Les gens ne sont pas très fans du club local et vont beaucoup plus voir jouer Feyenoord (1).
Posé dans le bar, on commence à parler du club : le FC Dordrecht est l’un des plus petits clubs professionnels des Pays-Bas, si ce n’est le plus petit. En 2014 lorsqu’ils obtiennent leur promotion en Eredivisie en défaisant le Sparta en play-off, le club a le 19ème plus petit budget de seconde division. 2,2 millions d’euros. Oui, juste ça. Lors de la saison 2014-2015 en Eredivisie, le club a une masse salariale annuelle comprise entre 400 00€ et 600 000€. Pour une vingtaine de joueurs. Alex ironise sur le fait que certains clubs amateurs aux Pays-Bas payent plus leurs joueurs qu’eux. Malheureusement le statut de petit poucet n’aura pas mené à un beau dénouement pour le club qui finira bon dernier d’Eredivisie reprenant le chemin de la Jupiler League.
Avant ce dernier coup d’ascenseur, Dordrecht avait déjà connu quelques saisons l’élite néerlandaise dans les années 80 et 90. Unique club encore professionnel de Dordrecht, il tire ses origines du DFC, ancien club professionnel et accessoirement l’un des plus vieux clubs du royaume.
Le FC Dordrecht n’a jamais connu de véritables succès et joue dans un stade excentré du centre ville, situé juste à côté du stade qui accueillait autrefois les matchs du troisième club qui fut un jour professionnel à Dordrecht, le SC Emma.
En se rendant au stade, on arrive sur un grand parking, on passe à côté d’algecos qui abritent la maison des supporteurs, la boutique du club et l’administration du club où je récupère ma place. Avant le début du match je fais un petit tour du stade et je repère un passage pour aller sur le toit où sont positionnées les équipes de télé. Belle vue sur le stade, avec les arbres qui l’entourent. Les joueurs rentrent sur le terrain, le FC Dordrecht a un maillot camouflage mais les supporteurs aiment bien « parce qu’ils s’en foutent des traditions (2). » La première mi-temps est passée dans la tribune de presse juste derrière le commentateur de la radio locale, Radio Rijnmond, qui postillonne comme jamais mais qui permet de suivre le match avec beaucoup de passion. Le plaisir est grand de pouvoir voir un match avec les commentaires en vivant. Dordrecht presse et a plusieurs occasions avant de toucher le poteau. Quelques minutes plus tard, l’ouverture du score survient par Chacon et le millier de supporters explose tranquillement.
Pour la deuxième mi-temps, direction la tribune des supporteurs les plus fanatiques de Dordrecht, derrière un des buts. L’autre but étant occupé par la centaine de supporteurs de RKC ayant fait le déplacement. Je retrouve là, en plus d’Alex, le drapeau breton de Dordrecht, une petite curiosité.
Si on peut parfois voir un drapeau de l’Olympique Lyonnais derrière un des buts à Utrecht, le drapeau breton de Dordrecht est quand même un des trucs les plus originaux que l’on pouvait voir dans les résumés de NOS Studio Sport lorsque le club était en Eredivisie il y a deux ans. Alex connaît le mec qui pose ce drapeau à chaque match : un Néerlandais de 62 ans, petite moustache et qui explique sa démarche en français entre deux bouffées sur son cigarillo. « J’ai une maison en Bretagne dans les Côtes d’Armor. Les Bretons sont très fiers d’où ils viennent et ils apportent toujours un drapeau avec eux, alors je le fais aussi. » Il m’explique où est situé sa maison, qu’il va voir jouer Guingamp en Bretagne et les autres supporteurs commencent à blaguer sur leur copain de stade qui parle français.
Le match continue et Dordrecht ne sait plus trop quoi faire. Les supporteurs espèrent quand même tenir pour la première victoire de la saison. Un des leaders de la tribune, un mec d’une soixantaine d’année, cheveux longs blancs, barbe, hurle « Republiek ! » et tout le monde reprend « Dordrecht ! » Le chant continue pendant bien une minute et est suffisamment entraînant pour que je chante avec eux. Lorsque Sai van Wermeskerken rentre sur le terrain, tous les supporteurs crient « Sushi ! Sushi ! Sushi ! ». Le joueur est à moitié Japonais. Des supporteurs me disent qu’ils trouvaient ça nul au début, que ça faisait quand même un poil raciste mais que finalement comme Sai adore le chant, ils continuent à scander ça pour lui.
En fin de match RKC égalise devant la tribune, les supporteurs visiteurs grimpent au grillage de l’autre côté du stade pendant que la déception est forte parmi les supporteurs de Dordt. Les joueurs locaux n’arrivent pas à égaliser et le match se finit sur un match nul. Les supporteurs applaudissent amers leurs protégés et sortent tous du stade pour aller s’entasser dans le supporters home située derrière la tribune, où une nouvelle soirée commence, bien plus drôle que le match que l’on vient tous de voir.
Notes :
(1) Les extra-trein qui vont à De Kuip les jours de matchs partent de Dordrecht et de la gare centrale de Rotterdam. (Retour au texte)
(2) DFC jouait en rouge et blanc, les couleurs de la ville. Le FC Dordrecht a commencé à jouer en jaune et bleu puis en vert et blanc. Et maintenant en camouflage. (Retour au texte)