Allez viens là mon petit ! Couche-toi à côté de Papi, je vais te raconter une petite histoire : celle d’une finale de Coupe entre la capitale française et une petite île de fous…
C’était il y a longtemps, une époque où ton vieux grand-père changeait encore la couche de ta maman, c’est dire ! Une histoire de passion, de confrontation entre deux opposés du football. Une époque un peu éloignée de ce que tu peux voir maintenant, même si la machine était déjà lancée à l’époque surtout pour cette Coupe de la Ligue souvent décriée comme étant la coupe factice, sans histoire et sans saveur.
Sauf que là c’était un peu plus, c’était un peu plus que du football… C’était, pour commencer, une revanche de 20 ans pour les Bastiais. En 1995, les Turchini avaient eu beaucoup de mal à digérer la première finale de cette nouvelle coupe. Ton pépé avait 10 ans à l’époque et il en garde encore des souvenirs marquants. D’une tribune Auteuil en ébullition (oui c’était au Parc des Princes, le vrai, pas celui préfabriqué que tu peux voir chaque weekend), une passion parisienne forte face à une passion corse équivalente, des milliers de Corses parqués qui n’attendait qu’une chose, battre la capitale de la France. Déjà à cette époque, l’arbitrage avait été décrié, alors que les Parisiens menaient 1-0, le serial buteur monténégrin Drobnjak avait égalisé mais le but avait été annulé injustement. L’histoire de David contre Goliath avait été truquée et un peu créé la polémique… Mais bon ton grand-père diverge, il te racontera cette histoire-là une prochaine fois !
Bref, j’en étais où déjà ?! Ah oui un sentiment de revanche je disais ! Et aussi une grande différence de vision du football : la passion (avec sa part d’ubuesque et aussi ses parts sombres) face à ce que tu vois tous les jours, c’est-à-dire une franchise qui vend du rêve à grand coup de millions, qui en était à son stade de balbutiement en France. Si le club parisien avait une histoire de 40 ans où la passion et le désir de monter un club parmi les pointures européennes n’étaient pas pour déplaire à la vision de ce que je pensais être du football, le changement de direction du club fut radical en 2010 et l’âme du club a disparu avec la suppression des passionnés, des ultras, inclus dans le lot des violents, des indésirables… La part sombre de la passion mon petit : trop d’émotions peut parfois être dangereux et amener à ne plus réagir avec discernement.
Mais je diverge encore, coupe-moi si je t’ennuie ! En cette année 2015, deux clubs s’affrontaient donc en finale de la Coupe de la Ligue, le Sporting Club de Bastia face au Paris Saint-Germain. Un club qui rassemblait toute la Corse (300 000 habitants) face à un club dont les supporters sont éparpillés sur différents continents. Une équipe avec l’un des plus petits budgets face à une équipe avec des fonds quasi illimités… Bref un contraste énorme, comme il n’y en a plus maintenant.
J’arrivais avec mes copains plus tard que prévu à cause d’un retard du train (je t’expliquerai plus tard ce qu’est un train et comment on galérait grave pour se déplacer avant l’invention de la téléportation). Et on s’est retrouvé dans une tribune qui faisait presque une fois et demi la taille de notre stade, énorme! Pas besoin de regarder la place où je dois m’installer, on se met debout où on veut, mais proche du mégaphone…
Après une « Battle » organisée par la ligue, pour savoir qui était le meilleur public, et durant laquelle nous nous sommes plus amusés à donner des noms d’oiseaux au président de la LFP qu’à participer activement à cette mascarade… On attendait qu’une chose : que le stade arrête la sono (qui était, est et sera toujours pour moi la mort du foot) pour qu’on puisse chanter encore et encore !
On tente de battre le record du stade le plus bruyant du monde ? Ava, on s’en fout, « Thiriez enc… » Record battu (vraiment ?) 109 ou 106 dB, j’ai la mémoire qui flanche sur ce point mineur de l’histoire !
Tu dors ? Je tapote sur ton épaule pour que tu te réveilles un peu mon petit…
Et voilà, le match commence ! Ah non, il y a des barils (sûrement un rappel au pays d’origine du nouveau Paris en mode petro-dollars) et des gens qui dansent avec des plaques dorées… Putana- euuuh punaise, c’est quoi ce bordel ?!
Début du match, les petits bleus mettent une bonne pression, et moi avec toutes celles que j’ai picolé pendant la journée, je suis chaud comme une baraque à frite pendant la braderie de l’île ! L’anneau central ressemble à une tribune Populaire comme on les aime : tout le monde debout. Ça gueule sévèrement, et ça ne dit pas que de la littérature voltairienne ! Bref ton vieux papi était bien, avec son papa et ses copains… Il pouvait tout encaisser, il était lancé ! Ou le croyait-il, le bougre.
Car ce fut de courte durée : 19ème minute, première action chaude parisienne, Toto est battu. On ne voit rien en tribune, mais le Parisien tombe, l’arbitre montre le point de penalty… et met le rouge au défenseur central !
A ce moment, je me dis que ce n’est rien, rien n’est jamais joué d’avance. J’avais tort ! Même si le « tort » ne tue pas, il fait mal au cœur, il te prend les tripes et te coupe les jambes. En tribune, je vois des jeunes dépités. Ça commence déjà à gueuler contre l’arbitrage maison. Et puis, progressivement, l’ambiance se réchauffe un peu… Remonte même presque de plus belle. Mais le deuxième but parisien nous remet un coup au moral… Pire encore, j’ai une larme à l’œil quand j’entends les spectateurs d’en face crier, entrainés par des joueurs de tambour professionnels rémunérés par le club.
Ces spectateurs ne sont pas des supporters comme les nôtres, des mecs qui viennent de se frapper 20h de transport pour suivre leur amour bleu… Putana, il faut chanter, je ne veux pas entendre les autres ! Chantez, mais chantez bordel ! C’est très dur de remotiver nos troupes, un autre contrecoup de la passion, il faut toujours un petit moment pour reprendre son souffle et chanter à nouveau.
Le reste du match n’a aucun intérêt et le score est sans appel : 4-0. Malgré un beau clapping et un superbe ‘Ssu Cantu qui m’a donné des frissons, on n’y était plus trop… La fête était encore gâchée pour nous.
Mais une action collective est venue ternir la fête de la Ligue. Alors que son président n’avait pas respecté le protocole en refusant de descendre saluer les joueurs au début du match (par peur d’une « ovation » et qu’est-ce qu’on aurait aimé le siffler copieusement !), nos joueurs ont marqué l’histoire de notre club. Ça te paraît un peu fort comme phrase, mais c’est bien le cas ! Refuser la main tendue de celui qui leur a manqué de respect, pour certaines têtes bien pensantes ou pour des gens où la raison dépasse largement la passion, cela paraît déplorable et détestable. Mais pour nous les supporters, c’était le pied de nez idéal, le signe véritable qu’ils nous comprenaient ! Et là, sur le grand écran, j’ai pu voir leur t-shirts : « Pas de match le 5 mai », alors qu’une bâche éponyme avait été interdite à l’entrée du stade plus tôt dans la soirée… Nous étions en fusion totale avec nos joueurs !
Voilà mon petit ! Voilà comment le torchon a brûlé de plus belle entre la Ligue et notre club. Les larmes aux yeux, je vois les copains, mon père, des inconnus, tristes, mais fiers… Tristes mais fiers.
Après ça, il y a eu une conférence de presse mémorable de Ghislain Printant, l’entraîneur corse, où pour la première fois un club demande ouvertement la démission d’un président de la Ligue en France !
Le Sporting Club de Bastia était et restera un club à part, « né pour souffrir » telle est notre destinée, et « pour survivre de l’enfer », nous reviendrons encore…