Stade de Port-Saïd, du transparent à l’écarlate

Stade de Port-Saïd, du transparent à l’écarlate

« Certaines personnes pensent que le football est une affaire de vie ou de mort. Je n’aime pas cette attitude. Je peux leur assurer que c’est beaucoup plus sérieux que cela ». Cette citation, que nous devons à Bill Shankly le mythique entraineur des Reds de Liverpool, est sans doute l’une des phrases les plus connues du monde du football. Polysémique et ouvrant le champ à une imagination débordante, cette phrase rappelle, selon moi, à quel point le football peut être vecteur à la fois d’unité et de division en même temps qu’une forme de marque intemporelle que les humains peuvent laisser dans l’histoire. Il arrive malheureusement que cette phrase trouve un écho macabre dans des joutes de foot : de l’Estadio Nacional de Chile à Furiani en passant par le Stade de Port-Saïd, on ne compte plus les fois où le foot se transforme en danse macabre.

L’idée qui sert de fil directeur à cette série de papiers sur les stades maudits est assurément celle qui veut que toute lumière possède ses parts d’ombre et que, bien souvent, la noirceur de ladite ombre n’a d’égale que la puissance lumineuse sans laquelle elle n’existerait pas. Il n’y a d’ailleurs pas de hasard à voir que, physiquement, l’ombre ne peut être projetée que si un objet est éclairé par une quelconque lumière. Dans le cas de Port Saïd, les ombres qui ont recouvert le stade sont affreuses et font écho à la lumière qu’avaient créée les ultras d’Al Alhy au moment de la révolution égyptienne.

 

L’hôte rebelle

 

L’histoire du stade de Port Saïd débute paradoxalement bien avant la construction du stade – qui date de 1954 et qui a été rénové en 2009. C’est effectivement l’équipe d’Al Masry dont le nom signifie l’Egyptien en arabe qui évolue au sein du stade. Basée à Port Saïd, cette ville située à l’embouchure du célèbre canal de Suez notamment connu pour avoir été le théâtre de l’affirmation de l’Egypte de Nasser face à la France, au Royaume-Uni et à Israël, le club d’Al Masry a dès ses origines eu une histoire rebelle et rétive à l’occupation. Fondé en 1920, le club est originellement créé par un groupe d’Egyptiens pour représenter les citoyens de la ville lors de l’occupation britannique. Dès son fondement, il est donc porteur d’une forte composante indépendantiste face à la colonisation.

Cette création très tôt dans l’histoire du football égyptien lui permettra d’être l’un des fers de lance lors de la création de la fédération de football en 1921 et d’être l’une des premières équipes à le rejoindre. Malgré ce statut de dinosaure, le club est pourtant relativement absent des palmarès nationaux et doit attendre 1998 pour remporter la coupe d’Egypte, son seul titre majeur. Dès la création du stade de Port Saïd il emménage dans cet écrin de 18 000 places qui n’a finalement pas connu de joies particulières, il faut dire qu’en Egypte, le football est phagocyté par les deux monstres que sont Al Ahly et le Zamalek. Tout juste le stade a-t-il accueilli des matchs de la CAN 2006 dont un quart de finale opposant le Nigéria à la Tunisie. C’est donc dans une relative indifférence que le stade est demeuré jusqu’à ce triste jour de février 2012.

 

Février écarlate

 

Comme je l’expliquais en introduction, les ultras du club d’Al Ahly ont été pleinement partie prenante de la révolution égyptienne qui a fini par pousser Hosni Moubarak à la démission. Comme le raconte merveilleusement bien Mickael Correia dans son livre Une histoire populaire du football, les ultras cairotes ont permis aux manifestants de prendre la place Tahrir puis de la conserver, eux qui étaient rompus aux combats de rues avec la police. La plupart des slogans chantés sur la place étaient d’ailleurs calqués sur le rythme des chants ultras. Devenus symbole de cette révolution, les ultras cairotes sont dans le même temps devenus une cible à abattre pour les militaires alors au pouvoir dans la phase de transition avant les élections présidentielles.

C’est dans ce contexte que se tient le match opposant Al Masry à Al Ahly le 1er février 2012. A l’issue de la victoire de leur club, des dizaines de supporters locaux envahissent la pelouse pour aller attaquer les Ultras Ahlawy dans une scène digne d’une guérilla urbaine. Le bilan est très lourd et s’élève à 72 morts. Plutôt que des débordements fortuits, ce à quoi le monde du football vient d’assister est l’assassinat d’ultras sous le regard complaisant et complice des autorités policières. D’importantes failles de sécurité, l’inaction des policiers, les absences du gouverneur de Port-Saïd et du chef de la police (alors qu’ils sont d’habitude présents) ainsi que des forces de sécurité durant les émeutes sont constatées et des témoins affirment que la police a refusé d’ouvrir les portes pour laisser les Ultras Ahlawy s’échapper. Symbole de cette jeunesse défiant l’armée et le système établi, les ultras cairotes ont payé de leur vie cet engagement. De leur côté, en laissant ces assassinats se dérouler, les autorités militaires ont clairement montré jusqu’où elles étaient prêtes à aller pour conserver le pouvoir dans un pays en ébullition révolutionnaire, ce drame de Port Saïd n’étant que la préfiguration du coup d’Etat contre Mohamed Morsi en juillet 2013. Il arrive parfois, comme dans le cas de l’Estadio Nacional de Chile, que la lumière jaillisse des ombres les plus profondes ; dans ce cas présent ce sont plutôt les ombres menaçantes qui ont recouvert toute lumière.

 

 

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